Il était 3 h du matin quand j’ai raccroché au 17, après avoir menti à l’opératrice.
« Non, madame, tout va bien, c’était juste une dispute. »
Pourtant, mon œil gauche était gonflé, ma lèvre saignait encore.
Dans la glace de la salle de bain, une étrangère me regardait – une femme qui venait de protéger l’homme qui venait de la frapper.
Ce soir-là, j’ai compris une vérité terrible : mon problème n’était pas sa violence.
Mon problème, c’était pourquoi je la défendais.
Première partie : anatomie d’un syndrome invisible
Quand nous parlons des femmes qui défendent leur agresseur, nous touchons à l’un des mécanismes psychologiques les plus complexes et douloureux qui existent.
Ce n’est pas de la faiblesse. Ce n’est pas de la stupidité.
C’est un système de survie qui s’est emballé, un mécanisme de protection qui s’est retourné contre celle qu’il devait protéger.
Le phénomène trouve ses racines dans ce que les psychologues appellent l’attachement traumatique.
Imaginez : chaque fois qu’il vous criait dessus, votre corps libérait du cortisol, l’hormone du stress.
Puis, quand il s’excusait (quand il vous prenait dans ses bras, quand il vous promettait que ça n’arriverait plus), votre cerveau inondait votre système de dopamine et d’ocytocine – les hormones du plaisir et de l’attachement.
Petit à petit, sans même vous en rendre compte, vous êtes devenue accro à ce cycle.
Exactement comme un drogué devient dépendant à sa substance.
La réalité est encore plus troublante quand on examine les schémas cognitifs qui se mettent en place.
Votre esprit, incapable de concilier l’image de l’homme que vous aimez avec ses actes violents, commence à construire des échappatoires psychologiques.
« Il a eu une enfance difficile » devient non pas une explication, mais une excuse.
« Je l’ai provoqué » n’est plus une simple pensée, mais une conviction profonde qui modifie votre perception de la réalité.
Prenez un instant pour faire cet exercice révélateur : prenez une feuille de papier et divisez-la en trois colonnes.
Dans la première, notez la dernière violence que vous avez subie.
Dans la seconde, écrivez comment vous l’avez justifiée, à vous-même ou aux autres.
Enfin, dans la troisième, imaginez ce que vous diriez à votre meilleure amie si elle vous racontait qu’elle a vécu exactement la même situation.
Le décalage entre la deuxième et la troisième colonne vous révélera l’ampleur du travail que votre psyché a accompli pour vous permettre de survivre à l’insupportable.
Deuxième partie : les mécanismes de défense qui nous enferment
Quand j’ai commencé à travailler sur ce sujet, une psychologue spécialisée dans les violences conjugales m’a dit une chose qui m’a marquée :
Quand une femme en arrive à défendre son agresseur, c’est que son système de survie est en surchauffe. Son cerveau a décidé qu’il valait mieux se mentir à soi-même que d’affronter l’horreur de la réalité.
Cette vérité est difficile à entendre, mais essentielle à comprendre.
Les mécanismes que vous avez développés ne sont pas des signes de faiblesse ou de folie.
Ce sont des réponses adaptatives à une situation qui, littéralement, ne devrait pas exister.
Prenons le cas de la négociation intérieure, l’un des pièges les plus courants.
Combien de règles absurdes vous êtes-vous imposées dans l’espoir d’éviter ses crises ?
« Si je ne le contredis pas, il ne criera pas. »
« Si je fais le ménage mieux, il ne cassera rien. »
« En fait, si je suis plus attentive, il ne me frappera pas. »
Chacune de ces « règles » représente une tentative désespérée de reprendre le contrôle dans une situation où vous n’en avez aucun.
Le pire dans tout cela ? Ces mécanismes s’auto-entretiennent.
Plus vous justifiez ses actes, plus vous perdez pied avec la réalité.
Plus vous perdez pied avec la réalité, plus vous avez besoin de justifications pour continuer à fonctionner.
C’est un cercle vicieux qui peut durer des années, voire des décennies.
Troisième partie : les racines profondes de la soumission
Pour vraiment comprendre pourquoi tant de femmes défendent leur agresseur, il faut remonter à l’enfance.
Nos premières expériences relationnelles tracent des routes neuronales qui deviennent nos autoroutes émotionnelles à l’âge adulte.
Si vous avez grandi dans un environnement où :
- Les limites étaient floues ou inexistantes
- La violence était normalisée
- L’amour était conditionnel
Votre cerveau a enregistré ces schémas comme « normaux ».
Pire, il les a associés à l’amour !
C’est pourquoi, aujourd’hui, quand votre partenaire alterne violence et tendresse, cela ne vous semble pas anormal.
Cela vous semble familier.
Ajoutez à cela les messages culturels que nous recevons depuis l’enfance : « L’amour peut tout pardonner », « Une vraie femme supporte tout pour sa famille », « Ce qui se passe à la maison reste à la maison ».
Ces croyances deviennent des prisons invisibles, mais extrêmement solides.
Le plus tragique dans tout cela ? Plus vous restez, plus vous perdez la capacité de partir.
Les psychologues appellent cela « l’impuissance apprise ».
Après avoir tenté, encore et encore, de changer la situation sans succès, votre cerveau finit par capituler.
Il apprend que résister est inutile. Alors, il se soumet.
Et cette soumission peut devenir si profonde que vous en arrivez à défendre activement la personne qui vous fait du mal.
Quatrième partie : le prix caché de la protection
Protéger son agresseur a un coût. Un coût physique d’abord.
Le stress chronique lié à la violence entraîne :
- Des troubles du sommeil qui deviennent chroniques
- Des douleurs musculaires et articulaires persistantes
- Un système immunitaire affaibli qui vous rend plus vulnérable aux maladies
Mais le coût psychologique est encore plus lourd.
À force de mentir aux autres et à vous-même, vous perdez contact avec votre propre réalité.
Votre mémoire devient sélective, oubliant les pires épisodes ou les minimisant.
Votre estime de vous-même s’érode jour après jour, jusqu’à ce que vous ne vous reconnaissiez plus dans le miroir.
Le pire, peut-être, c’est l’impact sur vos autres relations.
Vos amis, épuisés de vous voir retourner vers lui, s’éloignent peu à peu.
Votre famille, impuissante face à votre déni, ne sait plus comment vous aider.
Et si vous avez des enfants, vous leur enseignez, sans le vouloir, que la violence est une composante normale de l’amour.
Cinquième partie : briser le cycle
La première étape, la plus difficile, c’est de reconnaître la réalité.
Pas à pas. Petit à petit. Commencez par de petits actes de vérité :
- Notez chaque incident violent dans un carnet que vous cachez
- Parlez à une seule personne de confiance sans minimiser
- Appelez le 3919 juste pour poser des questions, sans engagement
Peu à peu, votre perception va se réaligner avec la réalité.
Vous commencerez à voir les choses non plus à travers le prisme de la peur et de la culpabilité, mais avec clarté.
Construisez votre plan de sortie, même si vous pensez ne jamais l’utiliser :
- Scannez vos papiers importants et envoyez-les à une adresse email sécurisée
- Mettez de côté un peu d’argent, même juste 5 € par semaine
- Identifiez les lieux où vous pourriez aller en cas d’urgence
Conclusion
Ce matin-là, je me suis regardée dans le miroir. J’avais :
- Un œil au beurre noir
- Une côte fêlée
- Et surtout, cette phrase en tête : « Je le défends encore. »
J’ai appelé le 3919. J’ai dit la vérité.
Pour la première fois, j’ai protégé la bonne personne : moi.
Aujourd’hui, quand j’entends une femme dire « Il est pas méchant », je vois toute l’histoire non-dite.
Je lui tends ce texte. Parce que personne ne devrait apprendre à aimer ses propres blessures.
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