À 23 ans, Emma partage quasiment toute sa vie avec Lucas : ils dorment ensemble quatre nuits par semaine, se suivent sur chaque réseau social, ont même adopté un chat.
Pourtant, quand sa mère lui demande s’ils sont « en couple », elle hésite avant de répondre : « On s’aime, mais on n’aime pas les étiquettes. »
Ce refus des étiquettes traditionnelles caractérise de plus en plus les femmes de la génération Z (nées après 1997), qui réinventent les codes de l’intimité.
Selon une étude récente de l’Institut IFOP, 68 % des femmes de 18-25 ans considèrent que « le statut officiel de couple est devenu obsolète ».
Une tendance confirmée par les applications de dating : Bumble rapporte que le terme « situationship » (relation non définie) a été recherché 140 % plus souvent en 2023 qu’en 2021.
Mais derrière cette apparente liberté se cachent des motivations complexes, entre désir d’authenticité et peur de l’engagement.
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Les racines d’une révolution relationnelle
Plusieurs facteurs expliquent cette défiance envers les labels traditionnels.
D’abord, une réaction aux modèles familiaux défaillants : « Mes parents ont divorcé après 20 ans de mariage où ma mère portait toute la charge mentale. Leur notion de ‘couple’ me donne envie de fuir », explique Manon, 24 ans, étudiante en psychologie.
Les jeunes femmes ayant grandi dans des foyers où le mariage équivalait à une prison dorée développent une méfiance instinctive envers les engagements formalisés.
En parallèle, l’hyperconnexion a redéfini les attentes.
Avec des applications offrant littéralement des milliers d’options à portée de swipe, la peur de « se tromper de choix » devient paralysante.
« À quoi bon s’engager si quelqu’un de mieux peut apparaître demain ? », s’interroge Jade, 22 ans, qui alterne trois « relations libres » depuis un an.
Cette mentalité s’apparente au phénomène bien documenté de « FOMO » (Fear Of Missing Out), mais appliqué à la sphère sentimentale.
L’évolution des normes sociales joue également un rôle clé.
Alors que leurs aînées militaient pour le droit au mariage gay ou à l’égalité dans le couple, les femmes Gen Z revendiquent une nouvelle liberté : celle de ne pas avoir à nommer ce qu’elles vivent.
« Pourquoi faudrait-il absolument être ‘en couple’, ‘fiancés’ ou ‘mariés’ ? Ces cases ne reflètent pas la complexité des sentiments », argumente Lucie, 25 ans, blogueuse relationnelle.
Les avantages inattendus du sans-label
Contrairement aux idées reçues, ces relations non étiquetées offrent des bénéfices psychologiques tangibles.
Sans la pression des rôles traditionnels, beaucoup de femmes se sentent enfin libres d’être elles-mêmes.
« Quand mon ex me traitait de ‘copine’, il s’attendait à ce que je sois toujours souriante, disponible, parfaite.
Maintenant que je vis une connexion sans nom, je peux montrer mes vulnérabilités sans craindre de décevoir », témoigne Sarah, 21 ans.
L’absence de cadre rigide permet aussi des ajustements plus souples aux réalités modernes.
Entre les études à l’étranger, les stages précaires et l’incertitude économique, la Gen Z doit composer avec une instabilité permanente.
« Je pars six mois en Erasmus : pourquoi officialiser une relation qu’il faudra mettre en pause ? », raisonne Inès, 19 ans.
Cette flexibilité correspond mieux à leurs parcours de vie morcelés.
Sur le plan émotionnel, certaines y trouvent même une forme de maturité.
« Nommer une relation, c’est souvent lui imposer un scénario. Sans étiquette, on est obligé d’écouter vraiment l’autre au lieu de projeter nos attentes », analyse Léa, 23 ans, qui pratique le « zen dating » depuis deux ans.
Une approche qui rejoint les principes de la pleine conscience appliqués à la vie amoureuse.
Les pièges cachés de l’informel
Pourtant, cette liberté a un prix psychologique souvent sous-estimé.
L’ambiguïté permanente génère une anxiété sourde, comme en témoigne Clara : « Je passe mes soirées à décrypter ses messages. Si je suis sa ‘meilleure amie avec qui il couche’, pourquoi refuse-t-il que je rencontre ses collègues ? ».
Cette incertitude constante active les mêmes zones cérébrales que l’incertitude physique, selon une étude en neurosciences sociales de l’Université Columbia.
Le manque de repères clairs peut aussi mener à des déséquilibres de pouvoir insidieux.
« Il disait vouloir ‘prendre son temps’, mais en réalité, c’était lui qui décidait de tout : quand on se voyait, avec qui on sortait… Moi, je n’avais aucun droit de regard », se souvient Ophélie, 24 ans, après une relation de deux ans « sans nom ».
Sans cadre mutuellement défini, c’est souvent la personne la moins investie qui impose ses règles.
Enfin, cette tendance interroge notre capacité à assumer la vulnérabilité.
« Refuser les étiquettes, c’est parfois juste un moyen élégant de fuir l’engagement », souligne la thérapeute Marie-Estelle Dupont.
Une analyse que confirme Lou, 20 ans : « Je me rends compte que je parle de ‘liberté’ alors que j’ai surtout peur d’être abandonnée si les choses deviennent sérieuses. »
Trouver l’équilibre
Alors, comment profiter des avantages du sans-label sans tomber dans ses pièges ?
La clé réside dans ce que les spécialistes appellent la « clarification des ambiguïtés ».
Même sans utiliser les mots « copain » ou « petite amie », il est crucial de définir ensemble :
- Le niveau d’exclusivité (sexuelle et émotionnelle)
- Les attentes en matière de transparence
- La place qu’on occupe réellement dans la vie de l’autre
« Maintenant, je pose ces questions dès le troisième mois, même si ça fait ‘trop sérieux' », explique Camille, 25 ans.
« Si la personne se défile, je sais qu’elle veut juste une passade. »
Paradoxalement, cette génération qui rejette les conventions en crée de nouvelles.
Beaucoup établissent des « contrats relationnels » informels (parfois même écrits) qui listent ce qui fonctionne pour elles sans recourir aux vieilles étiquettes.
« Avec mon partenaire, on a défini qu’on était ‘primaires’ l’un pour l’autre tout en permettant des connexions secondaires, à condition d’en parler », décrit Assia, 22 ans.
L’impact des réseaux sociaux sur les relations sans label
Les plateformes sociales ont profondément modifié la façon dont la génération Z conçoit l’intimité.
Instagram, TikTok et BeReal créent une paradoxale tension entre exhibitionnisme relationnel et refus des étiquettes.
« Je publie des stories avec lui presque quotidiennement, mais si quelqu’un commente ‘ton copain’, je corrige immédiatement », révèle Lina, 19 ans.
Cette schizophrénie numérique reflète un besoin de montrer sa vie affective tout en refusant d’y apposer des mots-clés.
L’algorithme joue un rôle insidieux dans cette dynamique.
Les contenus vantant les « situationships » comme ultime forme de liberté relationnelle inondent les fils d’actualité des jeunes femmes.
Des hashtags comme #NoLabels (2.3M de vues sur TikTok) ou #SituationshipChronicles propagent une esthétique du flou, transformant l’indéfinition en tendance désirable.
Pourtant, derrière ces posts soigneusement mis en scène se cache souvent une réalité moins glamour : « J’ai passé six mois à liker ses stories sans savoir si j’avais le droit d’être jalouse », admet Océane, 20 ans.
Les messageries instantanées complexifient encore la donne.
Le statut « en ligne » sur WhatsApp, les réponses différées sur Snapchat deviennent des indices à décrypter dans ce nouveau langage amoureux.
Une étude du MIT Media Lab montre que 62 % des femmes Gen Z analysent les schémas de communication (temps de réponse, émojis utilisés) comme substitut aux conversations explicites sur le statut de la relation.
Le point de vue masculin
Si les femmes initient souvent cette quête de relations libérées des étiquettes, les hommes de la même génération y répondent avec des motivations parfois divergentes.
« Beaucoup de mecs voient le ‘no label’ comme un moyen d’avoir plusieurs partenaires sans culpabilité », analyse Thomas, 24 ans.
Ce constat est corroboré par les thérapeutes : dans 70 % des cas qu’ils traitent, c’est l’homme qui résiste à toute formalisation une fois ses besoins comblés.
Pourtant, certains adoptent cette approche par conviction authentique.
« Les attentes traditionnelles pèsent aussi sur nous. Ne pas être ‘le petit ami officiel’, c’est une façon de respirer », explique Kévin, 23 ans, qui vit une relation ouverte depuis deux ans.
Pour ces hommes, souvent issus de milieux progressistes, rejeter les labels s’inscrit dans une philosophie plus large de déconstruction des normes de genre.
Le danger réside dans l’asymétrie des attentes.
Marine, 22 ans, raconte : « Il disait vouloir ‘prendre son temps’, mais en réalité prenait surtout le temps d’explorer d’autres options. »
Cette ambivalence crée un terrain propice aux manipulations affectives, où le discours progressiste sert parfois à masquer une simple réticence à s’engager.
Comme le note la psychologue sociale Camille Froment : « Quand une femme refuse les labels par féminisme et un homme par confort personnel, ils parlent en fait deux langages relationnels différents. »
Conclusion
Le mouvement sans-label n’est ni une simple mode ni une pathologie générationnelle.
Il reflète une authentique quête de relations plus authentiques, à l’image d’une génération qui refuse les hypocrisies de ses aînés.
Mais comme toute révolution, elle nécessite des garde-fous.
« La vraie liberté, ce n’est pas l’absence de cadre, mais la capacité à créer des cadres qui nous correspondent », résume la sociologue des relations amoureuses Valérie Colin-Simard.
Peut-être que l’avenir de l’amour réside dans cette capacité à inventer des formes relationnelles aussi fluides que rigoureusement consenties.
Comme le dit si bien Zoé, 19 ans : « Je ne veux ni d’une étiquette qui m’enferme, ni d’un flou qui me détruit. Juste trouver comment aimer sans perdre ma voix. »
Un équilibre délicat que toute une génération est en train de réinventer, une connexion à la fois.
Pourquoi mettre un terme à une relation peut être la meilleure chose pour vous
Il s’est avéré que le Prince charmant n’était en fait rien d’autre qu’une définition plutôt fidèle du psychopathe. Voilà ce qui t’attend si tu restes dans une relation amoureuse avec un homme toxique!