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Pourquoi elles restent : le piège psychologique des relations violentes que l’on ne comprend pas de l’extérieur

Pourquoi elles restent : le piège psychologique des relations violentes que l’on ne comprend pas de l’extérieur

Quand j’ai finalement osé parler de ce qui se passait derrière les portes closes de mon foyer, j’ai vu dans les yeux de mes proches cette question brûlante, blessante dans sa simplicité : « Mais pourquoi tu restes ? ».

Cette interrogation, apparemment logique pour qui observe de l’extérieur, m’a fait plus mal que les coups.

Parce qu’elle sous-entendait que j’étais complice de ma propre souffrance, que mon cerveau fonctionnait selon une rationalité que la violence avait depuis longtemps pulvérisée.

Je me souviens de ce dimanche où ma sœur, excédée, m’a lancé : « Moi, à ta place, je serais partie à la première claque. »

Ce qu’elle ne comprenait pas, c’est que le premier coup n’arrive jamais seul.

Il est précédé de mois, parfois d’années, d’une lente déconstruction psychique qui fait qu’au moment où la gifle part, tu es déjà prise dans un filet dont chaque maille a été soigneusement tissée pour te retenir.

Première partie : L’engrenage invisible de la domination

La violence conjugale ne commence jamais par une fracture ouverte.

Elle s’installe par micro-fissures, si discrètes qu’on les attribue d’abord à la fatigue, au stress, à un malentendu.

Je me revois sourire gênée quand il a critiqué pour la première fois ma robe : « Tu vas vraiment mettre ça ? On dirait une femme facile. »

J’avais trouvé ça protecteur, attentionné même.

C’était la première pierre d’un édifice qui allait devenir ma prison.

Les spécialistes parlent de « grooming conjugal », un processus insidieux en sept étapes que j’ai vécu sans même m’en apercevoir.

D’abord l’idéalisation : il m’a portée aux nues, m’a fait croire qu’il était le seul à vraiment me comprendre.

Puis l’isolement : « Tes amies sont jalouses de notre amour », « Ta famille ne m’a jamais accepté ».

Vient ensuite la déstabilisation : il ouvrait le frigo et soupirait « Toujours rien à manger » alors que j’avais passé l’après-midi à cuisiner.

Puis les menaces voilées : « Tu réalises ce qui pourrait arriver si tu me quittais ? »

Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik explique que cette technique crée une véritable réorganisation cérébrale chez la victime.

Les scanners montrent que les zones associées au jugement critique s’atrophient, tandis que celles liées à l’hypervigilance s’hypertrophient.

En clair, mon cerveau s’était reconfiguré pour survivre, pas pour réfléchir.

Deuxième partie : La chimie perverse de la peur et de l’espoir

Ce que peu de gens saisissent, c’est que l’enfer conjugal n’est pas un état de violence permanente, mais une alternance calculée de cruauté et de gentillesse qui crée une dépendance psychologique comparable à celle de l’héroïne.

Je me souviens de ces nuits où, après m’avoir jetée contre un mur, il pleurait à mes pieds, me suppliait de lui donner une chance, m’offrait des fleurs.

Ces moments de « rémission » activaient dans mon cerveau des doses massives de dopamine et d’ocytocine, bien plus intenses que dans une relation normale.

Le Dr Roland Coutanceau, expert en criminologie, compare cela au syndrome de Stockholm :

La victime développe une empathie paradoxale pour son bourreau, surtout lorsque ce dernier alterne violence et repentir.

Dans mon cas, ces phases de calme relatif me donnaient l’illusion du contrôle : « Si je fais tout parfaitement, il restera comme ça. »

Pendant ce temps, mon estime de moi se réduisait comme peau de chagrin.

Un jour, j’ai réalisé avec stupeur que je passais plus de temps à anticiper ses humeurs qu’à penser à mes propres besoins.

J’avais développé ce que les psychologues appellent la « mentalité de survivante » : chaque jour sans coup devenait une victoire, chaque sourire de sa part une récompense.

Troisième partie : Les chaînes invisibles de la coercition

Quand mes collègues me demandaient pourquoi je ne partais pas, ils imaginaient sans doute que j’avais juste à prendre mes clés et sortir.

Ils ne voyaient pas les entraves invisibles qui me retenaient :

  • L’emprise financière

Il avait progressivement pris le contrôle de tous nos comptes.

Mon salaire atterrissait sur un compte joint dont je n’avais pas la carte.

Quand j’ai évoqué l’idée d’un compte séparé, il m’a répondu : « Tu prépares ton départ ? Je savais que tu ne m’aimais plus. »

  • L’isolement géographique

Nous avions « déménagé pour son travail » dans une région rurale, loin de tout réseau de soutien.

Sans voiture (il « s’occupait de tout »), j’étais prisonnière.

  • Le chantage affectif

« Si tu pars, tu ne reverras jamais les enfants. J’ai les moyens de te les prendre. »

Une menace crédible quand on sait que dans 70 % des cas de séparation avec violence conjugale, les pères obtiennent un droit de visite non supervisé (chiffres INSEE 2022).

  • La peur de mourir

Le jour où j’ai évoqué le divorce, il a posé son couteau de cuisine contre ma joue et a murmuré : « Si tu me quittes, je te retrouverai. »

Les statistiques lui donnaient raison : en France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint.

Quatrième partie : Le piège des traumatismes transgénérationnels

Ce que j’ai mis des années à comprendre, c’est que mon acceptation de la violence ne venait pas de nulle part.

En thérapie, j’ai réalisé que j’avais grandi avec une mère qui tolérait les humiliations de mon père, elle-même élevée par une grand-mère battue.

Les neurosciences montrent aujourd’hui que les schémas de violence s’inscrivent dans notre mémoire cellulaire.

Une étude révolutionnaire de l’Université de Zurich (2023) a identifié ce qu’on appelle les « marqueurs épigénétiques de la victimisation ».

C’est-à-dire des modifications chimiques qui se transmettent sur plusieurs générations.

Ces marqueurs expliquent pourquoi, lorsque Pierre a élevé la voix pour la première fois, mon corps a réagi par une étrange familiarité plutôt que par l’alarme.

La psychologue Muriel Salmona explique :

Les filles de victimes reconnaissent inconsciemment les schémas abuseurs comme une forme d »amour familier’. Leur système nerveux est calé sur cette fréquence depuis l’enfance.

Cela crée un terrible paradoxe : ce qui devrait alerter devient rassurant par sa prévisibilité.

Je me souviens de ce moment où, voyant ma fille de cinq ans se recroqueviller quand son père criait, j’ai eu le déclic.

Elle reproduisait exactement mes réflexes d’enfant.

C’est cette prise de conscience qui m’a finalement poussée à partir et à briser la chaîne devenait plus important que ma propre peur.

Cinquième partie : Le mur de l’incompréhension sociale

Ce qui a peut-être été le plus douloureux, c’est de constater à quel point la société est complice des abuseurs.

Quand j’ai finalement porté plainte, le policier a soupiré : « Encore une dispute de couple qui dégénère. »

Mon avocat m’a conseillé d' »arrondir les angles » pour obtenir le divorce plus rapidement.

Ma propre mère m’a dit : « Tu exagères sûrement, il a toujours été si charmant avec nous. »

Cette minimisation systématique est documentée par les chercheurs.

Une étude de l’Observatoire des violences envers les femmes montre que 78 % des victimes qui parlent rencontrent d’abord l’incrédulité ou la banalisation de leur entourage.

Pire : dans 43 % des cas, c’est la victime qui finit par être exclue du cercle social, pas l’agresseur.

Je me souviens de cette amie qui m’a dit, excédée : « Franchement, à force, tu l’aimes bien, ta position de victime. »

Ce qu’elle ne comprenait pas, c’est que personne ne choisit d’être victime.

On le devient, pièce par pièce, sous les coups répétés d’un système qui nous apprend dès l’enfance à « sauver » les hommes plutôt qu’à nous sauver nous-mêmes.

Conclusion

Aujourd’hui, cinq ans après ma fuite, je peux enfin répondre à la question « Pourquoi je suis restée ? ».

Parce que partir était plus dangereux que rester.

Parce qu’on m’avait appris que l’amour devait faire mal.

Chaque mécanisme de mon cerveau avait été reprogrammé pour la survie, pas pour la liberté.

Aux proches qui lisent ces lignes : ne demandez plus « Pourquoi elle reste ? », mais « Comment puis-je l’aider à partir en sécurité ? ».

Parce que la vraie question n’est jamais celle de la sortie, mais celle des mains tendues qui permettent de l’atteindre.

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